La question que pose la transformation digitale est des plus simples : comment continuer à faire du profit et à pérenniser l’existence de l’entreprise dans un monde devenu digital ? La réponse est loin de tenir dans un alignement d’outils numériques. La transformation digitale ne touche pas non plus que les moyens de communication et l’introduction de technologies productives ou de traitement des données.

Elle appelle une hybridation des modèles économiques : association des clients à la définition des besoins et au design des produits, création de valeur grâce à l’analyse des données, modernisation de l’appareil productif, … La transformation digitale renvoie le dirigeant face à sa réflexion stratégique et à la définition du ou des modèles d’entreprise qu’il veut mettre en œuvre. Le premier Chief Digital Officer (CDO), c’est le dirigeant de l’entreprise.

Il lui revient de mener la transformation digitale, même si les sujets numériques sont souvent une source d’angoisse. Au fil de ses études, Bpifrance a observé que deux tiers des dirigeants d’entreprises se disaient à la fois intéressés et angoissés par le digital. EY renforce le trait en diagnostiquant si, si plus de 80% des ETI considèrent la transformation digitale comme stratégique, moins d’un tiers s’y sont réellement lancé ! S’ajoute à cela le manque chronique de temps pour s’informer sur les technologies, mais aussi les bonnes pratiques managériales qui émergent… et qui changent en permanence ! En matière de technologie, l’offre crée la demande et le champ des possibles est inversement proportionnel au temps disponible du dirigeant pour faire de la veille. En cela, le dirigeant a intérêt à se faire aider d’un Chief Digital Officer pour accélérer et soutenir sa réflexion (EY, toujours, souligne que 26% des ETI ont désigné un CDO).

Pour nommer un Chief Digital Officer, il existe une vraie mauvaise idée. Elle consiste à s’offrir en grandes pompes les services d’une star de la Silicon Valley… Et de la jeter dans la fausse aux lions ! La suite de l’histoire est connue : le CDO, ne connaissant pas suffisamment ni le métier ni la culture de l’entreprise, et à qui on ne donne pas beaucoup plus de moyens que sa parole, finit par être rejeté par la structure et par jeter l’éponge. Ce type de greffe peut être acceptée, parfois, mais à des conditions précises. Si le CDO a été nommé seulement pour évangéliser l’entreprise et prêcher la bonne parole, on court à l’échec.

Confier une mission à l’un des dirigeants déjà présent dans l’entreprise constitue une bien meilleure idée. Encore faut-il savoir le choisir. Les entreprises choisissent parfois d’adjoindre un haut potentiel au DSI et de lui donner la charge de la transformation digitale. On imagine bien le prisme inévitable de sa feuille de route. Les systèmes d’information ne sont qu’un aspect de la transformation. Il est préférable qu’il soit directement rattaché au patron. À l’opposé, la démarche d’un groupe comme Saint-Gobain mérite d’être saluée. La transformation digitale se compose de trois grands volets : l’allègement des processus administratifs, l’automatisation des processus industriels et l’expérience client. Sur les deux premiers points, Pierre-André de Chalendar a lancé de grands chantiers au cœur du métier, défini des objectifs et nommé des responsables. Le dirigeant a estimé que le dernier point, la création de valeur dans la relation client, constituait l’axe de progression principal pour Saint-Gobain. En toute logique, il l’a confié au directeur marketing une mission de transformation digitale ; il l’a ensuite remplacé par son numéro deux qui a la vision d’ensemble sur les processus productifs et d’innovation et sur la dimension clients. Il a placé la transformation digitale à l’endroit précis du modèle économique qui doit être hybridé. C’est bien la question des modèles d’entreprise, c’est-à-dire des propositions de valeurs pour les clients, qui est en jeu et qui nécessite la coordination des fonctions de l’entreprise et des partenariats qu’elle aura à nouer.

Enfin, il ne suffit pas de choisir un CDO, il faut lui assigner des moyens et des objectifs précis, à commencer par l’élaboration d’un plan de transformation pour le groupe et l’inventaire des projets de chaque division et des moyens nécessaires. Concrètement, le CDO doit être capable de réaliser 5 POC (Proof of Concept) pour faire progresser l’entreprise sur sa vision numérique ainsi que des projets visibles et tangibles. C’est la multiplicité des projets pilotes qui fait évoluer l’entreprise et sa culture, et donne la preuve à coups de petites efficacités.

Il n’y a de transformation digitale réussie que celle qui s’intègre concrètement dans la vie de l’entreprise. La différence entre une transformation manquée et une transformation réussie ne réside pas dans la conception mais dans la qualité de l’exécution. Nous sommes passés d’un monde de planifications et de grandes organisations à un univers de l’incertain et des stratégies de Go… On ne décide pas la transformation numérique, on la réalise quitte à s’éloigner de la conception. Qui d’autre que le dirigeant pourrait garder la hauteur de vue pour veiller à l’exécution de la transformation comme on construit patiemment des territoires au jeu de Go… ?

 

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