Jean-Yves Gilet, le directeur général du Fonds stratégique d’investissement (FSI), détaille ses missions et ses projets en régions.
Vous rencontrez beaucoup d’entreprises. Comment voyez-vous l’évolution de la conjoncture ?
C’est notre mission de rencontrer des entreprises qui ont des projets de croissance ! De plus en plus d’entreprises s’interrogent sur leur carnet de commandes. Malgré des produits solides, elles sont parfois confrontées à un retard d’adaptation. La situation est pour le moment différente de celle de 2008. La conjoncture est moins forte que prévu : à l’époque tout s’était arrêté d’un coup.
Récemment, le Fonds stratégique d’investissement (FSI) est venu au secours de Translohr, de Caddie… Vous demande-t-on d’intervenir auprès des entreprises en difficulté ?
Il peut arriver que des entreprises aient des accidents de parcours. Notre rôle, c’est de regarder leur viabilité à long terme et leur modèle économique. Cela ne veut pas dire dédommager les actionnaires ou les banquiers en place. Je viens d’une industrie cyclique, je sais très bien qu’il peut y avoir des besoins de redressement. Je l’ai fait quand j’étais dans l’acier. Cela prend du temps et demande des efforts.
Sous quelles conditions intervenez-vous dans ces entreprises ?
Notre mission est d’investir dans des projets viables, il ne s’agit pas de boucher un trou temporaire. C’est ce que nous avons fait avec Translohr. L’entreprise a un produit innovant, le tramway sur pneus, mais elle se trouvait dans un groupe qui ne pouvait pas lui donner une expansion internationale. Nous avons favorisé une consolidation en accompagnant Alstom dans la reprise de cette activité.
Quelle sera votre place dans la future banque publique ?
Tout ce qui concourt au financement de l’industrie et à la mise en cohérence des outils est une bonne chose… On a besoin d’un dispositif plus simple, plus clair, stratégique et efficace, car la lisibilité des dispositifs peut parfois surprendre.
On vous accuse de contribuer à ce manque de lisibilité…
Je l’entends parfois. Nous avons mis en place un certain nombre de fonds sectoriels. Il faut que l’on aide le chef d’entreprise dans la compréhension de l’outil le plus adapté à son besoin. C’est ce que nous avons essayé de faire avec le FSI Régions. Pour les PME, c’est l’interlocuteur unique pour la partie fonds propres. Il se coordonne avec les autres fonds d’investissement. FSI Régions instruit tous les investissements directs de moins de 4 millions d’euros. C’est une réponse concrète à un besoin de proximité et d’accompagnement.
D’après Arnaud Montebourg, le ministre du Redressement productif, le FSI se comporte comme un fonds d’investissement en exigeant des rentabilités trop élevées. Que répondez-vous ?
Il faut qu’on lui démontre le contraire. Dans Lohr, par exemple, sur lequel Arnaud Montebourg s’est beaucoup investi, notre objectif, en l’occurrence, n’était pas de chercher une rentabilité mais de stabiliser une innovation et de sauvegarder les emplois. Mais ce n’est pas parce que c’est de l’argent public qu’il vaut zéro. Le FSI vise un objectif de rentabilité moyenne sur le long terme, mais notre rentabilité n’est pas que financière : dans le cas de Viadéo, notre investissement conforte l’ancrage français de ce leader ; pour Sequana, nous confortons une entreprise qui produit du papier en France, depuis plus de deux siècles. On a pris un certain nombre de risques dans les biotechnologies par exemple. On nous parle souvent de Nicox. Bien sûr qu’on ne recommencerait pas, mais cela fait partie des facteurs d’expérience. Ceci dit, le cours de Bourse de Nicox a repris 50% depuis le début de l’année, même s’il y a encore de la marge.
Quelles entreprises ciblez-vous ?
Nous consolidons des entreprises, soit en stabilisant leur capital, soit en soutenant le rachat d’industries. Notre rôle principal est d’identifier des champions qui innovent et exportent pour les aider à financer leur développement. Nous regardons l’impact que peut avoir l’entreprise dans sa filière et son impact sur l’emploi et les territoires. Nous prenons en compte aussi sa capacité à innover et à exporter. C’est le cas de Gorgé, qui fabrique des automates et des portes pour l’industrie nucléaire. Nous sommes allés voir Raphaël Gorgé, il nous a soumis un projet quelques mois après. Nous commençons également à financer des entreprises technologiques pour accompagner leur industrialisation. Nous le faisions dans les biotechs, avec DBV Technologie, par exemple. Maintenant, nous allons le faire dans d’autres secteurs.
Cela s’apparente à du capital-risque ?
Nous arrivons un peu après, juste à la frontière du capital-risque et du capital développement. Nous n’interviendrons pas dans la phase de développement du prototype ou de l’innovation, mais dans la phase d’industrialisation. L’ordre de grandeur pourrait être de 50 millions d’euros par an. Cela aidera à combler des lacunes du marché.
Comptez-vous aider Geci international à industrialiser son avion tout terrain, le Skylander ?
Ce que nous recherchons, ce sont des entreprises avec des projets pour lesquels il y a un marché. Ce projet a connu beaucoup de décalages sur les coûts, le calendrier et les perspectives. C’est pourquoi nous avons fait réaliser des études indépendantes par des experts aéronautiques. Elles confirment que cet avion pourra voler un jour, mais que les perspectives commerciales et les paramètres économiques ne sont pas ceux présentés par le chef d’entreprise. Nous lui avons écrit il y a plusieurs mois que nous pourrions accompagner ce projet, mais que sa réussite passait par l’adossement à un partenaire industriel car un projet de long terme de cette nature peut connaître des aléas. J’attends que l’on m’apporte les éléments.
Comment accompagnez-vous les entreprises ?
Dans toutes les entreprises dans lesquelles nous investissons, nous demandons à avoir un administrateur, qui n’est pas forcément membre de l’équipe mais qui a un lien privilégié avec le FSI. J’ai souhaité aussi mettre en place dès septembre une équipe « industrielle » de trois personnes, dirigée par un ancien de Renault, pour identifier les potentiels d’amélioration et d’efficacité opérationnelle dans les entreprises dans lesquelles nous investissons. Nous ne sommes pas intrusifs, je ne souhaite pas rentrer dans la gestion opérationnelle ni faire du consulting. Je tiens de mon expérience industrielle que la compétitivité coût passe aussi par l’efficacité opérationnelle. Les premières interventions effectuées depuis le début de l’année confirment l’intérêt de cette démarche.
Les régions s’investissent de plus en plus dans le financement de l’économie. Comment travaillez-vous avec elles ?
Nous avons des fonds avec les régions au travers du programme FSI France investissement. Nous sommes présents dans 220 fonds privés dont 80 fonds régionaux. FSI France investissement a été renouvelé avec 5 milliards d’euros de fonds publics mis à disposition jusqu’en 2020. Ce dispositif, complémentaire de FSI Régions, permet d’investir des tickets plus importants. Pour répondre à une critique qui nous est souvent adressée, il ne s’agit pas de se substituer à l’investissement privé mais de le compléter. Il y a un besoin d’investissement en fonds propres et il ne va certainement pas se réduire. L’an dernier, les levées de fonds ont été de l’ordre de 6,5 milliards d’euros contre 10 à 11 milliards en moyenne en 2006 et 2007.
Allez-vous augmenter votre présence en régions ?
Nous avons besoin d’être encore plus présents localement. Notre coeur de cible, ce sont les entreprises de taille intermédiaire. Ce sont elles qui investissent le plus, qui exportent le plus. Le fait d’avoir multiplié le nombre d’interlocuteurs de FSI Régions depuis janvier – désormais présent dans 15 régions – est important. Je pense qu’il va falloir très vite renforcer les effectifs avec une implantation par région. D’ores et déjà, nous avons doublé le rythme d’investissement. Les 18 études filières que nous avons menées nous ont permis de détecter les champions nationaux. Nous voulons maintenant détecter les champions régionaux. Nous avons déjà signé des conventions avec une dizaine de régions en ce sens.